
Tangibles photographie

Je vais avoir 87 ans le 28 février, c’est pas jeune...je suis vieille n’est ce pas ?… je m’habitue petit à petit. Au début cela me faisait drôle, je me disais quand même bonté pourquoi tu es vieille comme ça, je me disais que j’étais vieille c’est vrai. Et mes voisins me disaient c’est pas possible ! pourquoi tu dis toujours que tu es vieille ?
Eliane

Un jour on m’a pris pour un faisan… Vous savez il y a longtemps c’était des jardins ici, et moi j’étais là avec ma bêche ; tout à coup je vois un oiseau magnifique passer, un monsieur était là avec un fusil et il se met à tirer. Il a mal visé et hop c’est moi qui ai tout pris. Finalement je n’ai rien eu. En rigolant on dit que ça m’a mis du plomb dans la tête. Depuis j’aime bien tirer avec une carabine à plomb, même maintenant. Je vise bien, moi ; je gagne tout le temps.
Par contre en vieillissant j’ai de plus en plus mal à la tête. Alors j’ai un truc : je me mets à la table et je lis des livres. Quand je lis, j’oublie. Je mets le mal de tête dans le livre et hop je le referme. Souvent je dois quand même reprendre au chapitre d’avant, parce que j’ai un peu oublié.
Marguerite

Il y a quelque temps j’ai fait refaire les murs et le plafond : j’ai dû habiter au 9ème étage le temps des travaux. J’étais contente de vivre au 9ème étage, mes oiseaux aussi, on voyait plus de ciel. Mais comme c’est haut ça me donnait le vertige, je ne pouvais pas regarder en bas, je regardais en face. Alors finalement j’étais contente de redescendre ici au 3ème étage.
Sylvie

Voilà tout ce que j’ai pu ramener de l’appartement HLM où je vivais avec maman : un dauphin, une tour Eiffel, une poupée, et une télé. Le reste, mes nièces ont tout pris. Comme maman est décédée, c’est une tutelle qui m’a pris en charge. J’ai été obligée de partir. C’était il y a ... On est en 2000… 1000 je sais plus.
C’est la première fois que j’ai une maison rien qu’à moi. Je me sens seule quand même, mais j’ai la télé. J’ai eu ce fauteuil, suite au décès d’une dame qui est morte ici. La table aussi, le chevet, l’étagère, une lampe et puis les chaises. Je me souviens quand je suis arrivée, il était 14h00 et je n’avais rien à manger ; une voisine m’a apporté une soupe et une omelette le soir ; je n’avais pas de vaisselle. Je voudrais bien m’acheter un canapé.
Laurette

Je sors très peu, même pas dans le parc, je ne fais pas de course, je mange en bas. Par contre presque tous les jours je vais à Grand Place, à pied, je vais faire du lèche-vitrine. Ça ne me dit rien d’aller trainer tout seul au centre ville.
J’ai peu de contacts avec les résidents, je suis un peu sauvage, les gens le savent que ça ne m’intéresse pas. Je fais beaucoup de lit en fait, oui je m‘allonge et je cogite, je réfléchis. Je regarde la télé le soir seulement, mais pas trop, ça me brûle les yeux, y a rien à faire, ça me brûle les yeux.
Claude

Je viens du sud, et la première fois quand nous sommes venus à Annecy, je ne connaissais pas la montagne : ça a été le coup de foudre.
Il y a plusieurs années, j’avais vu le collège de la Villeneuve en reportage à France 3, et je trouvais l’architecture formidable ; alors avec le tram dès le lendemain j’y étais allée, ça m’avait fasciné. Je ne me doutais pas qu’un jour j’y habiterai.
Lors de ma première visite ici à la résidence, quand j’ai vu la chaine de Belledone par la fenêtre de l’appartement, je me suis décidée tout de suite, c’était exactement ce qu’il me fallait.
Josette

Quand tu sors pas, tu ne connais pas les gens, tu ne connais pas les rues. Si je voulais me sauver, je ne saurais même pas quelle rue prendre. Mais je ne vais pas me sauver, je suis assez intelligente. On ne voit pas la dent de Crolles d’ici, à cause des arbres. Là-bas au loin on voit l’Hôpital Sud, ici le collège, l’école. Je regarde les enfants quand ils jouent au ballon.
Vous savez quand on n’a jamais eu de chez soi, on est bien de partout, je vis ma vie, c’est tout. Je fais du crochet, je vais faire une couverture avec plein de carrés. Si dans la salle en bas ça ne marche pas, je monte ; si je m’ennuie ici dans ma chambre, je redescends. C’est vrai qu’ il y a du monde en bas, surtout quand il y a un gouter. Il y a trois jours un monsieur m’a demandé de jouer à un jeu de société avec lui. Après c’est sur, s’il me tape sur l’épaule ça va faire des ragots.
Quand j’étais petite je me souviens que je regardais toujours les flaques d’eau, cela me fascinait. Un jour on m‘a demandé pourquoi. Je ne savais pas, mais j’ai répondu « Un bateau apportera mon papa.»
Yvonne

Je pense que nous, les parents, nous devons être raisonnables, les enfants n’ont pas le temps de s’occuper de nous. J’ai bien vu que je commençais à demander de l’aide aux voisins. Et je ne voulais pas avoir à le faire, je me suis toujours débrouillée seule. Je crois qu’il est important de décider soi-même. J’avais une petite maison avec un jardin, mais cela ne m’inquiétait pas de venir dans un appartement. Venir ici n’a pas été difficile parce que j’y avais bien réfléchi avant. Depuis 20 ans, je me suis beaucoup investie dans le quartier. Maintenant j’ai 93 ans, je sors beaucoup moins, mais les gens se souviennent de moi, et je ne crains personne. Je me sens vraiment chez moi.
Léontine

J’ai pas de problème ici en fait, avant oui, c’est sûr, j’en ai eus : l’année dernière j’ai dû m’enfuir en urgence le jour de mon anniversaire, en pleine chaleur du mois d’aout. Les fils de ma femme m’ont frappé avec un couteau en fait. C’est le commissariat qui m’a mis là. J’ai porté plainte.
Je suis parti à 67 ans j’avais rien dans les mains en fait, même pas un sac, pas une photo. Je ne peux toujours pas récupérer mes meubles. Et puis ma femme ne peut pas venir habiter ici avec moi parce qu’elle a besoin de trop de soins psychologiques. J’étais capitaine en fait, dans la marine.
Michel

J’ai beaucoup travaillé en France, plus de 40 ans, comme femme de ménage à mi-temps. Et puis mon mari est parti, et je n’avais plus de maison. Toute seule je ne pouvais pas me payer un logement, et mon fils a déjà du mal à nourir sa famille, je ne voulais pas l’embêter. J’ai eu un rendez vous avec une assistante sociale. Au début ils me disaient c’est complet, il n’y a pas de chambre libre, parce que cet appartement devait être refait. Mais puisque que je n’avais pas de maison, c’était urgent. J’ai trouvé du papier peint, de la peinture, un fauteuil. Je suis arrivée ici avec rien du tout. Maintenant j’ai tout fait, les plafonds, les murs, les tissus.
Tous les jours je cuisine et cela me fait du travail, faire cuire du lapin, le pain avec la semoule de blé, des légumes. Je ne vais pas au restaurant en bas. Parfois je descends un peu avec les autres.
Aïcha

A 70 ans j’ai eu envie de m’éloigner, ne plus être à la disposition de mes garçons, leurs enfants, couper le cordon en somme. Ils habitaient avec leurs familles dans ma villa, et j’étais très heureuse, mais j’ai choisi de partir. J’avais envie de faire ce que je veux, comme avant. Mon indépendance c’est quelque chose d’important : je tourne le bouton, j’éteinds les lumières et hop je pars, toute seule ça va plus vite, il n’y a pas à discuter : je vais au terminal sur les quais de Gières, sur les quais de l’Isère, je fais des grandes promenades toute seule, ou des voyages avec un groupe aussi. On n‘a déjà pas beaucoup de choix dans la vie, alors quand on peut faire comme on veut, il faut y prendre comme ça, même les choses anodines, il faut les prendre.
A un certain âge le temps il court, je n’ai même plus le temps de compter, alors il faut vraiment bien se préparer. Cette année je n’ai rien compris, c’était la Noël, et hop c’était déjà les vacances d’hiver.
Michelle